samedi 16 mai 2009

1.

Et je me suis mise à courir, dans une course éperdue et effrénée, comme ses héroïnes de cinéma désespérée. Je ne savais pas ce que je poursuivais, ni si j’étais moi-même poursuivie. Il fallait seulement que je fasse cesser le bruit des battements de mon cœur qui explosaient dans ma poitrine. Il fallait que j’y échappe, que j’échappe à l’idée de mourir, que j’échappe à ces hurlements réguliers qui remplissaient d’effroi ma carcasse.

Mourir aujourd’hui peut-être, mais pas ici, dans ce lieu froid et désert. Et je courais, imaginant toutes les choses que j’aurais dû faire, avec un sourire sarcastique qui me pendait aux lèvres et qui me disait aussi, tout bas : « voilà »

Je n’étais pas vieille, une vingtaine d’année seulement. J’avais construit ma vie à l’envers, comme beaucoup de gens, cherchant d’abord le plaisir dans la certitude que c’était l’essence de la vie et laissant tomber tous les programmes scolaires, recherche de métier, plan de carrière, avenir construit et prémédité.

Je voulais simplement vivre, je dessinais des croquis à longueur de journée, pas très originaux, sûrement bien naïf, mais qui racontait à ma manière ce que serait les X commandements d’une vie heureuse.

Et là, à ce moment précis, je revoyais devant mes yeux ces petits dessins sans imagination : sentir la pluie d’été sur mon corps nu, prendre le premier avion en partance pour n’importe où, faire l’amour une semaine entière, plonger du haut d’une falaise…

J’entendais résonner en moi ce poème dont je n’ai jamais su ni l’auteur ni la fin, mais dont le titre et les premiers vers me faisaient rêver : « Doucement avec l’ange ».

Moi, je l’ai cherché, cet ange, au fond de moi parce que je croyais déceler dans ce début de littérature la poésie même de mon être.

« Pense à tes grimaces de fou entre tes murs… » Combien de fois j’ai recopié ce petit bout de texte l’offrant à mes rencontres, pensant par ce don précieux leur offrir une issue, une voie sans traverse.

Je vois dans les pavés qui défilent sous mes pieds toute la vanité de ces idéaux enfantins, de croire en cette Révélation qui vous atteint le jour venu. Il suffit d’attendre.

Il faut que je m’arrête. Que je me pose. Respire. Il faut que j’arrête. Maintenant, tout de suite. Personne ne me rattrapera. Je n’arriverais nul part. Et pourtant je continue. Je cours. Sans fin. Sans but. Sans attendre.

Un type bien louche me regarde passer. Je continue de courir. Je cours.

Suis-je morte ? Je ne sais pas. Il n’y a rien de tout blanc, aucun ange penché sur moi. Juste un ciel lourd. Je me relève. J’ai dû tomber à force de courir comme une folle. M’évanouir de fatigue. Il y a toujours ce type bien louche qui me regarde du coin de l’œil, assis sur son banc. J’ai honte. Je voudrais rentrer chez moi maintenant.

vendredi 6 mars 2009

Part III - 3.

Je suis seule et j’attends. J’attends que la vie reprenne son sens. Mon rêve sans nom s’est endormi. Je reste ici, à l’intérieur. Un espace défini que je connais par cœur, que je peux parcourir les yeux fermés pour ne pas voir, ne pas sentir la vie qui continue de se faire sans nous. J’avais imaginé un monde à deux. Il faut désormais que j’efface du dessin ta silhouette. Je pose les mains sur mon corps nu, je sens la peau ravagée qui ne t’as pas encore oublié, qui continue de frémir qu’en j’évoque ta présence.

Comme une force irrépressible qui me tire par le bas du ventre et m’oblige chaque matin à poser un pied devant l’autre, encore et toujours. Je ne l’ai pas voulu.

Vers les anges nobles de la mort. A chaque soleil nouveau, à chaque souffle doré qui vient salir cet air, je me porte un peu plus vers vos bras ouverts.

Il faut que je prenne des décisions. Je le sais. Celle d’avoir un lieu ou un fils, celle de partager ou non, celle de continuer à rêver ou de commencer à vivre.

La conscience comme seule guide. Mais si facile à altérer cette conscience, à tâcher de substances enivrantes, à fléchir par les affections, à pourrir par les désirs inconstants et indéterminés de mon être. Carte blanche à la folie de dire oui, oui à tout et à tous. Mais mes épaules sont bien trop étroites pour ce travail. Je suis étroite. A quand la rébellion du corps par l’amour ? C’était avec toi.

Une fleur en bandoulière, une autre pour couronne et une dernière enfin en guise de miroir. Je pourrais le croire.

Le miroir des autres ne me fait pas semblable à celle qui veut vivre en moi. Je ne devrais plus accepter de les regarder et de les vivre. Tu ne me regardes plus et je ne vis plus. Hors de ma vue, tous, pour cesser de me nuire. Peut-être est-ce pour cela que tu es parti. Je suis morte tant de fois par la faute d’autrui. Tu es le dernier de mes bourreaux.

L’injustice du coup de grâce porté par une action qui ne me concerne même pas. Combien de fois ? Combien de fois ce cauchemar solitaire de chutes ascensionnelles alors que c’est l’autre qui tombait avec lui-même ? Dans la nuit. Ils vivent loin de leurs rêves, en croyant à vous, et par un soir d’hiver, ils m’accompagnent au cimetière pour en revenir seuls, avec le sourire au bord des lèves, inconscients de l’acte commis. Combien de fois à regarder ce sourire, la lame brûlante transperçant ma chair de l’œil jusqu’à l’intestin ? A sourire en retour ?

Je n’ai pas trouvé l’issue dans la voie des autres. Je le sais et je continue pourtant de la hanter, maudite.

jeudi 5 mars 2009

Part III - 2

Aujourd’hui j’ai marché, couru même, à perte de vue, comme un insecte tourmenté par son propre bourdonnement. Tu ne viendras plus. J’ai cherché des regards où planter mon cri puis me laisser tirer. C’est fou comme la dépendance provoque la fuite. Je suis seule à présent. Comment apprend-on cela ? Où harponner ces matins engourdis de fumée nauséeuse si ce n’est pas dans ton regard ?

J’ai pensé volupté aussi. Remplacer une dépendance par une autre. Me vautrer dans d’autres folies que la tienne. Je ne sais pas. Et j’entends encore ton souffle mesquin :

« Pas encore ».

Et si je ne voulais pas ? Jamais. Si je refusais ? Si je disais non à ce voyage sans retour dont je ne fais plus parti ?

Mais je ne décide plus. Tu as décidé une fois pour toute. Pour nous deux. C’est dégueulasse.

vendredi 27 février 2009

Part III - 1.

Pourquoi ne m’as-tu pas serré plus fort ? Pour m’empêcher d’avoir peur… Pourquoi ne m’as-tu pas regardé dans le noir pour me dire « tu existes, c’est toi » ?

Maintenant les mots guérissent et la distance rassure. Mais les regrets du « si » émergent. Comme à chaque fois. Je t’aime. Parce que tu es le seul qui me l’a proposé. Qui me le permet. Qui me répond. Le seul aujourd’hui.

Demain peut-être qu’un autre viendra. Mais loin. Et ainsi de suite…

J’annonce le temps de la lucidité et du grand Pardon. Tu n’es plus là pour l’entendre. C’est seulement pour moi. Question de justice.

Tu me manques. Ton regard, ta présence me manquent. Eux seuls me faisaient exister. Aujourd’hui, il n’y a encore personne pour te remplacer.

Je les voie, tous, qui me regardent. Le temps a fait leur indifférence, ou juste la distance. Mais moi, j’ai le poids de tous ces regards. Je trimballe tous ces morceaux de vie comme des ratés. Je me torture le bas du ventre à me les rappeler, à les convoquer tous ensemble comme un carnaval morbide et lunaire, tâché de sang et de poussière.

Je courbe l’échine, silencieuse. Je porte le fardeau de toutes ces décisions, sans parfois même les comprendre ou les justifier. Elles sont seulement. Est-ce qu’il en va de même pour toi ? Pour tout ? Pour moi ?

Je voudrais encore que tu l’entendes, que tu m’entendes. Masi tu es déjà si loin. Et je souffre de n’être plus qu’une absence, de ne plus dessiner sur ta carte mes courbes à moi. Il va falloir que je reconstruise, que je rêve à nouveau. C’est encore toi quand je ferme les yeux. Mais tu ne viendras plus.

mercredi 25 février 2009

Part II - 5

Maintenant, c’est à elle de dire, de parler, d’écumer le silence de paroles sensées, raisonnées. Elle se prend au jeu. A chaque mot, elle prend conscience un peu plus de la force de son être. Elle peut refuser. Dire non, courir loin d’ici, le planter lui et ses démons, l’abandonner aux charognes de son esprit. Le faire souffrir et payer sa faute.

Et pourtant, son regard se porte ailleurs, loin derrière lui. Il y a tout un monde à désirer derrière. Un monde avec ou sans lui. Un monde où le mot « deux » se perd et se noie.

« J’ai perdu. »


mardi 24 février 2009

Part II - 4

"J’ai perdu mon être qui me peuplait à l’intérieur de moi. Il a déserté devant la douleur, foutu le camp comme une merde. C’est ce que je suis à présent : un corps vide traversé d’un trou d’air. Une fin du monde en soi. "

Elle sait que c’est en cela que réside sa chance. Quand il n’y a plus rien.

mercredi 18 février 2009

Part II - 3

Elle se retourne. Lui demande de parler. Lui demande de raconter même si elle sait que chaque parole prononcée sera une autre fin du monde. Le début d’un film qui va tourner dans sa tête encore longtemps, la rongeant peu à peu comme une vieille charogne, la vidant de son être, l’humiliant chaque fois un peu plus. Mais elle écoute et creuse les mots en elle. Comme pour être sûre. Elle ne bouge toujours pas.

« Tu es là calme, et tu me regardes. Je voudrais me jeter entière sur toi et te décapiter, t’arracher ta sale caboche qui se tient obstinément droite, te retirer ces yeux qui me regardent fixement et ne me laisse pas m’échapper. Je voudrais pouvoir te fuir, sauter hors de ce lieu qui est le nôtre, courir droit vers le nulle part. Mais je ne peux pas. Je sens l’obstacle qui bute contre moi. Et moi, je voudrais seulement fermer les yeux, te laisser à tes paroles que je ne comprends pas, que je ne veux pas comprendre, que tu maîtrise trop bien, qui ne sont pas les miennes. Je pars pour l’autre monde. Celui où je retrouve mes cris d’avant, mes hurlements du bas du ventre, mes tâches de sang qui giclent sur les murs. Et ta voix continue d’être là. Je n’en veux pas, entends-tu ? Je ne veux pas de toi en cet instant, juste trouver l’espace de hurler et puis peut-être après, pleurer. Je t’aime. Non, je ne l’ai pas dit. Tu ne l’entendras pas. »

Il continue de parler. D’expliquer. A nouveau elle ne bouge plus. Comme morte. Une poupée de chiffon trop longtemps traînée sur le sol et devenue toute sale avec des trous partout.

lundi 16 février 2009

Part II - 2.

Il est là. Il l’a ramasse. Doucement. Comme on ramasse un oiseau mort. Il la dépose au creux du lit. Son corps se contracte pour ne pas bouger, ses yeux luttent pour ne pas s’ouvrir. Elle ne veut pas avoir à le regarder. Pas encore. Il a compris. Se déshabille lentement du côté de son lit et s’allonge. Il garde les yeux ouverts. Il ne veut pas mentir dans le sommeil.

Elle chuchote. Il comprend. Il acquiesce. Silence. Elle n’a plus de mot. Elle n’ouvre toujours pas les yeux. Dos à lui. Elle ne sait pas comment faire. Chaque mot qu’elle dira, elle veut le sentir et le peser en elle comme un lourd fardeau. Elle sait que c’est à elle de décider. Même si elle n’a rien demander. De son corps lasse et inerte, elle lutte contre ce choix qu’elle n’a pas commandé, désirer, qui s’impose à elle par la faute de l’Autre. Elle refuse. Elle ne peut pas.

« Je ne veux pas crier. Je serre les dents, plante mes crocs dans le silence, acharnée à ne pas lâcher. »

mercredi 11 février 2009

Part II - 1.

Elle fume. Seule. A peine habillée. Comme sortie du lit en pleine nuit, les doigts grignotant le bord de la table. Assise au bord du fauteuil, tassée dans son corps comme si elle n’osait plus penser.

Elle voudrait se lever, ignorer le temps qui passe et inexorablement lui annonce le glas d’une rupture. Sa fin du monde à elle. Trouver la force de bouger. Elle se lève. Va vers la grande fenêtre, celle par laquelle le soleil entre le matin. Quand arrivera-t-il ? Il n’y a personne, que le silence. Elle voudrait hurler pour rompre cette absence, se saisir des meubles et les jeter les uns sur les autres, exploser de ses cris les murs où s’enferme sa détresse.

Mais elle ne bouge pas.

Viendra-t-il ?

Elle ne pourra pas ignorer. Elle sait. Et c’est cette certitude sans équivoque qui lui tiraille l’intestin et l’empêche de continuer à bouger.

Une nouvelle cigarette. Pour s’occuper. Le temps d’un instant concentrer sa pensée sur la flamme qui vient brûler. Elle voudrait tant pouvoir se faire du mal. Mais elle attend. Pour entendre.

« Tant que le jour ne se levait pas, tu pouvais encore revenir. Maintenant, il est là, et tu n’es pas rentré. Je ne peux pas l’ignorer. »

Elle s’est endormie. Se tassant sur le sol pour y puiser une force qui ne s’y trouve plus, les poings plantés dans son bas-ventre comme pour empêcher un hurlement d’en sortir. Elle ne s’est pas détruite. Juste endormie, épuisée.

mardi 10 février 2009

Part I - 9.

Plus calme, un peu comme après la course. Pour longtemps, comme si c’était simple. Demain viendra le temps des assassins mais je n’en ferais plus partie. Il sera trop tard.

Il n’est plus libre le petit cheval noir, en proie à la douceur de son regard.

Alors je lui dis. J’ai regretté l’averse. J’ai regretté le temps. Je suis là désormais à compter les jours qu’ils me restent comme s’ils étaient déjà perdus. Quand deviendrons-nous amants ?

J’ai mal débuté, trop tôt. Ils ne savaient même pas m’appeler. Comme une symphonie peut-être ? Un boléro ? Alors j’ai été dans le débordement. Un petit être accroché à tous les barreaux de chaises, à ne jamais vouloir quitter.

Jusqu’au grand Non : celui de ma vie, celui de mes feuilles, celui de ma nuit peut-être. Ils se sont déchirés pour le propre sang. Je préfère oublier que la haine est le prix de la vie. Plus rien désormais ne s’oublie.

Tu es là, encore, à m’attendre. Et je viens. Seule cette fois. Je n’ai plus rien. Alors regardes-moi comme ça. Nue et lavée pour la première fois. Regardes : le vide s’étend devant moi. Et pour la première fois, je n’ai plus peur de m’y étendre. Même soulagée qu’il existe. Enfin.

On va où ? Peut-être ne viendrons-nous pas …

lundi 9 février 2009

Part I - 8.

LUI : Comme ça, tout simplement.

ELLE : Je vois.

LUI : Non.

jeudi 5 février 2009

Part I - 7.

ELLE : Est-ce qu’il faut être dans le calme pour dire vrai ? Est-ce que le vrai a besoin de silence ? Est-ce que les cris l’enfonce, le défigure, le terrifie au point qu’il ment ?

Je suis si simple, si tu savais… Et puis même là, dans le calme, je finirais par mentir. Délit de culpabilité je crois. Je n’y arriverai certainement pas.

mercredi 4 février 2009

Part I - 6.

ELLE : Tu es là ?

LUI : Comme toujours. Je t’attends.

ELLE : Je ne viendrai pas.

LUI : Je sais.

ELLE : Pas encore.

samedi 31 janvier 2009

Part I - 5.

ELLE : Je devrais lui dire. Tout ça. Mais est-ce que ça se dit ? Ça … Et d’abord tout quoi ? Je ne veux pas que ce tout soit seulement un tout. Je veux avoir le droit de décision, avoir ma part active dans cette histoire – mon fil à tordre, à penser. Je veux avoir la possibilité des regrets. C’est comme un jeu, finalement. Quelqu’un a défini les rôles – père, mère, fille, sœur – et puis on voit.

Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à dire ?

Alors il y aurait quoi à dire ?

LUI : Toi. Juste te dire toi.

ELLE : C’est vrai.

vendredi 30 janvier 2009

Part I - 4.


LUI : Elle est seule. Je la voyais souvent, seule, là-bas, comme ça. Alors j’ai créé un lien. D’abord dans ma tête, en imaginant. Puis je l’ai vu, elle, comme ça. Sombre et froide, je crois, comme elle sera toujours. Une sorte de petit monstre qui se met à hurler si on appuie au mauvais endroit. Et ça m’arrive souvent.

Alors au début je faisais le chat, à pas de velours, avancée prudente, test de la matière, tâtonnements et chuchotements. Et puis merde, il a bien fallu que je finisse par foncer dedans. Depuis je pousse … Rien.

Et si c’est moi qui fatigues le premier ?

ELLE : Tu en trouveras une autre bien mieux que moi, ou seulement moins pire. Une avec qui tu pourras parler, qui voudra bien dire. Pas moi.

LUI : Je n’ai pas les armes en main ; et si je les ai eu, maintenant je les dépose à terre. Elles ne sont pas pour moi.

ELLE : Ou tu n’en veux pas.

LUI : Je demandais juste l’abandon, l’acceptation de la jouissance, la passivité simple du bonheur. Pourquoi a-t-elle si peur ? Je ne veux pas d’éternité dans ma vie, c’est bien trop long. Juste des bouts de sens, fragments d’espérance, de petites vies, des morceaux choisis comme ça, au hasard. Sans plus ni moins d’ambition.

ELLE : Tout ou rien.

LUI : Elle exige tout et ne donne rien. Si je ne donne rien, elle vomit tout. Par longues secousses entrecoupées de rires saccadés. C’est terrifiant. Et alors elle tousse, comme si elle cherchait à s’étouffer.

Je suis seul.

Parfois, elle me livre de brefs morceaux, à vifs, tout crus, toujours saignant. Comme si c’était ça, sa vie : un lambeau de chair finissant de saigner. Ça pue.

Alors on oublie. Tous les deux. Qu’elle existe.

jeudi 29 janvier 2009

Part I - 3.


ELLE : J’ai besoin d’aide, là, maintenant, tout de suite. De tous ces gens qui m’ont aimé, perdu, possédé, outragé. J’ai besoin de mots pour peupler ce vide, pomper leur vie pour remplir la mienne. Trop seule, trop silencieux, trop évident. Je n’en peux plus. Peut-être que si, je peux encore puisque je suis là à hurler comme une sale mioche contre ces quatre murs que je ne peux pas exploser. Je veux voir la vie, la ville. Ses lumières, son souffle, son souffre. Perdre mes sens. Trouver un étau de corps où m’enfermer enfin. Penser trois rues et suivre le premier qui s’engage.

Premier élan. Là, immédiatement, comme une évidence : être parce que les autres sont aussi. Sans me reconnaître. Me greffer à eux, qu’ils se greffent à moi, à mon corps. Sentir l’évidente chaleur, sentir l’étouffement soudain : ils sont là. Oui, ils sont là, au milieu de moi. Milles voix obsédées.

Je n’ai pas fumé jusqu’à l’écœurement aujourd’hui. Faute de goût. Je n’ai pas tué non plus : initiative personnelle. Mais qui ? Comment ? Je ne sais plus. J’ai perdu l’envie permanente, juste des sursauts qui existent, parfois, au milieu des silences.

Foutu bruit qui n’existe que pour les autres. Même le mien ne se fait pas entendre. Alors vous voulez que je crie, c’est ça ? Que je crie pour qu’on vienne me consoler ou me jeter ? Comme ça j’aurais une révolte légitime. Un droit d’exister.

Je ne veux plus te voir, plus te penser, plus t’exister : tu bouscules trop de choses.

Hommage à la psychiatrie moderne.

Tu me manques pourtant, partout.

mercredi 28 janvier 2009

Part I - 2.

LUI : Tu es née ?

ELLE : Un jour …

LUI : Et pourtant …

ELLE : Je sais.

LUI : Il y avait quoi ?

ELLE : Des monstres peut-être … non des fées. Les monstres c’était après.

LUI : Après quoi ?

ELLE : Après que je sois née.

LUI : Et alors ?

ELLE : Alors rien. Il y a eu les fées, puis les monstres. Et maintenant je suis là.

LUI : Et après ?

ELLE : Après il y a toi.

LUI : Bien.

ELLE : Bien ?

LUI : Bien.

ELLE : Peut-être que ce n’est pas aussi simple …

LUI : Peut-être. Mais tu ne veux pas savoir.

ELLE : Non.

LUI : Tu es une petite fille.

ELLE : Non, je n’ai jamais été une petite fille. Je suis née adulte. Je faisais juste semblant. Pour ne pas les effrayer.

mardi 27 janvier 2009

Part I - 1.

1.

ELLE : Je suis seule à présent. Tu n’es pas encore là. Mais il y a l’autre. Avec sa grosse tête effrayante – comme l’explosion de mon point faible. L’autre qui me regarde avec toutes ses dents. Et sa rumeur vibrante au fond des mes intestins, dans tous mes tuyaux – oui, je les voie, je les sens, comme le roulement d’un tambour qui annonce l’inexorable.

Mais putain, putain d’effigie, mon nom, mon référent … pus qui me ronge et me fait pourrir. J’ai tout essayé, nom d’un chien, tout. Comment n’ai-je pas pu encore te vomir… J’ai pourtant dansé sur ta tombe, j’ai dressé un mausolée à la gloire de ton absence, j’ai découpé, déchiré. Tout. Le moindre signe, visible ou non, la moindre odeur. Je me suis épuisée à te faire disparaître, à te déposséder de ma vie, à te l’arracher à ‘importe quel prix. Ta vie … Te piétiner, t’enterrer, te sucer ton sang, t’écraser, te baiser. Oui, j’aurais voulu te baiser.

J’ai même imaginé que tu puisses revenir, vous tous aussi, les bras chargés de cette violence, de ma violence. J’ai imaginé mon regard alors, l’angoisse saisissante, ma lutte avec elle pour ne pas laisser déborder. Je n’imagine pas mes mots : seulement la haine écorchée vive, retirée sanglante de la plaie et enfin vomie entre nous. Je n’imagine pas vos figures, ni vos grimaces : seulement un silence et le noir. Comme ici.

On m’a soufflé cette solution dont l’effroi tenace m’impose le refus en même temps que la peur de l’erreur. C’est comme le viol invisible, intouchable mais intensément là, l’évidence même, entre nous, le sens de toute la suite, le choix de toute une vie.

Et pourtant la suite, ce n’est pas sur le passé, ni par lui ? C’est dans le neutre, l’inconnu ? Et alors, où vais-je balancer le poids, l’obsession, l’obstination, ton obstination … l’oubli, le mien … et les vagues humiliantes, submergeantes, envahissantes jusqu’à la fin…

Je suis fatiguée. Et toi ?

Parce que lui, maintenant, il est là, à demander des comptes, à observer, à vouloir comprendre. Je raconte quoi ?


lundi 26 janvier 2009

Part I - Prologue

PROLOGUE

ELLE : Je casse des barreaux de cellule à projeter les mots contre leur propre sens ; j’explose. Je vide les pilules et annonce le temps de l’innocence. M’aimeras-tu, ainsi ornée des milles cicatrices d’un Lucifer trop outragé ? Et puis, quelquefois, dessinant sur ta peau écaillée de longues craquelures encore toute saignantes, je redécouvre le sens du mot. Dire … te dire … imaginer te dire … pousser la trahison jusqu’à te dire … mordre de mes deux membres ta vue et ton pouls : tes sens perdus de toutes manières.

Me rendre l’unique semblant de secours ?

Tu es là, sans pouvoir me faire face (faire face à mon entité). Inutile. Et mes coups de pieds battant l’air avec rage, et mon propre avortement effréné, sanglant … Et ton immobilité. Mes cheveux déposés à tes pieds, ma salive qui te lèche le mollet, mes orbites sautant vers les tiens, mes ongles qui labourent la chair … Et tu ne bouges pas. C’est honteux.

Comment se perdre mieux, hein, dis-moi ? Non ? Pas l’humiliation de la chair dépouillée pour toi ? La soumission, c’est ça, n’est-ce pas, cette putain de soumission qui fait dresser ton putain de membre ? Merde. Je me souviens que tu me disais « ce n’est pas du désir que j’ai pour toi mais de l’amour ». Et dans ton amour, elle vit où la femme que je suis ? Il est trop propre pour la chair ? Alors soit l’un soit l’autre … Désir ou amour, au choix ?

L’objet-sexe inanimé et crevé. On lui colle son image parfaite, partiellement construite sur des données réelles de ces illusionnistes magnifiques qui bombardent nos murs et nos cerveaux d’images plastifiées, perfectionnées, travaillées en vue de nos perceptions ; simagrées illuminées. Le baiser de l’oubli.

Alors il n’y a rien de tout cela que j’endosse avec responsabilité … Ta foutue vision de l’humanité calcinée… Tu préfères imaginer les dons qui m’habitent plutôt que d’assumer ma matière vivante et visible, qui brasse l’air, là, devant toi, qui s’agite comme un noyé inventif, imaginant toujours de nouveaux signes pour qu’enfin on le voit.

Tu me voies ?

Ombre de la coulisse

Rock

Bulle en blanc