samedi 16 mai 2009

1.

Et je me suis mise à courir, dans une course éperdue et effrénée, comme ses héroïnes de cinéma désespérée. Je ne savais pas ce que je poursuivais, ni si j’étais moi-même poursuivie. Il fallait seulement que je fasse cesser le bruit des battements de mon cœur qui explosaient dans ma poitrine. Il fallait que j’y échappe, que j’échappe à l’idée de mourir, que j’échappe à ces hurlements réguliers qui remplissaient d’effroi ma carcasse.

Mourir aujourd’hui peut-être, mais pas ici, dans ce lieu froid et désert. Et je courais, imaginant toutes les choses que j’aurais dû faire, avec un sourire sarcastique qui me pendait aux lèvres et qui me disait aussi, tout bas : « voilà »

Je n’étais pas vieille, une vingtaine d’année seulement. J’avais construit ma vie à l’envers, comme beaucoup de gens, cherchant d’abord le plaisir dans la certitude que c’était l’essence de la vie et laissant tomber tous les programmes scolaires, recherche de métier, plan de carrière, avenir construit et prémédité.

Je voulais simplement vivre, je dessinais des croquis à longueur de journée, pas très originaux, sûrement bien naïf, mais qui racontait à ma manière ce que serait les X commandements d’une vie heureuse.

Et là, à ce moment précis, je revoyais devant mes yeux ces petits dessins sans imagination : sentir la pluie d’été sur mon corps nu, prendre le premier avion en partance pour n’importe où, faire l’amour une semaine entière, plonger du haut d’une falaise…

J’entendais résonner en moi ce poème dont je n’ai jamais su ni l’auteur ni la fin, mais dont le titre et les premiers vers me faisaient rêver : « Doucement avec l’ange ».

Moi, je l’ai cherché, cet ange, au fond de moi parce que je croyais déceler dans ce début de littérature la poésie même de mon être.

« Pense à tes grimaces de fou entre tes murs… » Combien de fois j’ai recopié ce petit bout de texte l’offrant à mes rencontres, pensant par ce don précieux leur offrir une issue, une voie sans traverse.

Je vois dans les pavés qui défilent sous mes pieds toute la vanité de ces idéaux enfantins, de croire en cette Révélation qui vous atteint le jour venu. Il suffit d’attendre.

Il faut que je m’arrête. Que je me pose. Respire. Il faut que j’arrête. Maintenant, tout de suite. Personne ne me rattrapera. Je n’arriverais nul part. Et pourtant je continue. Je cours. Sans fin. Sans but. Sans attendre.

Un type bien louche me regarde passer. Je continue de courir. Je cours.

Suis-je morte ? Je ne sais pas. Il n’y a rien de tout blanc, aucun ange penché sur moi. Juste un ciel lourd. Je me relève. J’ai dû tomber à force de courir comme une folle. M’évanouir de fatigue. Il y a toujours ce type bien louche qui me regarde du coin de l’œil, assis sur son banc. J’ai honte. Je voudrais rentrer chez moi maintenant.

vendredi 6 mars 2009

Part III - 3.

Je suis seule et j’attends. J’attends que la vie reprenne son sens. Mon rêve sans nom s’est endormi. Je reste ici, à l’intérieur. Un espace défini que je connais par cœur, que je peux parcourir les yeux fermés pour ne pas voir, ne pas sentir la vie qui continue de se faire sans nous. J’avais imaginé un monde à deux. Il faut désormais que j’efface du dessin ta silhouette. Je pose les mains sur mon corps nu, je sens la peau ravagée qui ne t’as pas encore oublié, qui continue de frémir qu’en j’évoque ta présence.

Comme une force irrépressible qui me tire par le bas du ventre et m’oblige chaque matin à poser un pied devant l’autre, encore et toujours. Je ne l’ai pas voulu.

Vers les anges nobles de la mort. A chaque soleil nouveau, à chaque souffle doré qui vient salir cet air, je me porte un peu plus vers vos bras ouverts.

Il faut que je prenne des décisions. Je le sais. Celle d’avoir un lieu ou un fils, celle de partager ou non, celle de continuer à rêver ou de commencer à vivre.

La conscience comme seule guide. Mais si facile à altérer cette conscience, à tâcher de substances enivrantes, à fléchir par les affections, à pourrir par les désirs inconstants et indéterminés de mon être. Carte blanche à la folie de dire oui, oui à tout et à tous. Mais mes épaules sont bien trop étroites pour ce travail. Je suis étroite. A quand la rébellion du corps par l’amour ? C’était avec toi.

Une fleur en bandoulière, une autre pour couronne et une dernière enfin en guise de miroir. Je pourrais le croire.

Le miroir des autres ne me fait pas semblable à celle qui veut vivre en moi. Je ne devrais plus accepter de les regarder et de les vivre. Tu ne me regardes plus et je ne vis plus. Hors de ma vue, tous, pour cesser de me nuire. Peut-être est-ce pour cela que tu es parti. Je suis morte tant de fois par la faute d’autrui. Tu es le dernier de mes bourreaux.

L’injustice du coup de grâce porté par une action qui ne me concerne même pas. Combien de fois ? Combien de fois ce cauchemar solitaire de chutes ascensionnelles alors que c’est l’autre qui tombait avec lui-même ? Dans la nuit. Ils vivent loin de leurs rêves, en croyant à vous, et par un soir d’hiver, ils m’accompagnent au cimetière pour en revenir seuls, avec le sourire au bord des lèves, inconscients de l’acte commis. Combien de fois à regarder ce sourire, la lame brûlante transperçant ma chair de l’œil jusqu’à l’intestin ? A sourire en retour ?

Je n’ai pas trouvé l’issue dans la voie des autres. Je le sais et je continue pourtant de la hanter, maudite.

jeudi 5 mars 2009

Part III - 2

Aujourd’hui j’ai marché, couru même, à perte de vue, comme un insecte tourmenté par son propre bourdonnement. Tu ne viendras plus. J’ai cherché des regards où planter mon cri puis me laisser tirer. C’est fou comme la dépendance provoque la fuite. Je suis seule à présent. Comment apprend-on cela ? Où harponner ces matins engourdis de fumée nauséeuse si ce n’est pas dans ton regard ?

J’ai pensé volupté aussi. Remplacer une dépendance par une autre. Me vautrer dans d’autres folies que la tienne. Je ne sais pas. Et j’entends encore ton souffle mesquin :

« Pas encore ».

Et si je ne voulais pas ? Jamais. Si je refusais ? Si je disais non à ce voyage sans retour dont je ne fais plus parti ?

Mais je ne décide plus. Tu as décidé une fois pour toute. Pour nous deux. C’est dégueulasse.

vendredi 27 février 2009

Part III - 1.

Pourquoi ne m’as-tu pas serré plus fort ? Pour m’empêcher d’avoir peur… Pourquoi ne m’as-tu pas regardé dans le noir pour me dire « tu existes, c’est toi » ?

Maintenant les mots guérissent et la distance rassure. Mais les regrets du « si » émergent. Comme à chaque fois. Je t’aime. Parce que tu es le seul qui me l’a proposé. Qui me le permet. Qui me répond. Le seul aujourd’hui.

Demain peut-être qu’un autre viendra. Mais loin. Et ainsi de suite…

J’annonce le temps de la lucidité et du grand Pardon. Tu n’es plus là pour l’entendre. C’est seulement pour moi. Question de justice.

Tu me manques. Ton regard, ta présence me manquent. Eux seuls me faisaient exister. Aujourd’hui, il n’y a encore personne pour te remplacer.

Je les voie, tous, qui me regardent. Le temps a fait leur indifférence, ou juste la distance. Mais moi, j’ai le poids de tous ces regards. Je trimballe tous ces morceaux de vie comme des ratés. Je me torture le bas du ventre à me les rappeler, à les convoquer tous ensemble comme un carnaval morbide et lunaire, tâché de sang et de poussière.

Je courbe l’échine, silencieuse. Je porte le fardeau de toutes ces décisions, sans parfois même les comprendre ou les justifier. Elles sont seulement. Est-ce qu’il en va de même pour toi ? Pour tout ? Pour moi ?

Je voudrais encore que tu l’entendes, que tu m’entendes. Masi tu es déjà si loin. Et je souffre de n’être plus qu’une absence, de ne plus dessiner sur ta carte mes courbes à moi. Il va falloir que je reconstruise, que je rêve à nouveau. C’est encore toi quand je ferme les yeux. Mais tu ne viendras plus.

mercredi 25 février 2009

Part II - 5

Maintenant, c’est à elle de dire, de parler, d’écumer le silence de paroles sensées, raisonnées. Elle se prend au jeu. A chaque mot, elle prend conscience un peu plus de la force de son être. Elle peut refuser. Dire non, courir loin d’ici, le planter lui et ses démons, l’abandonner aux charognes de son esprit. Le faire souffrir et payer sa faute.

Et pourtant, son regard se porte ailleurs, loin derrière lui. Il y a tout un monde à désirer derrière. Un monde avec ou sans lui. Un monde où le mot « deux » se perd et se noie.

« J’ai perdu. »


mardi 24 février 2009

Part II - 4

"J’ai perdu mon être qui me peuplait à l’intérieur de moi. Il a déserté devant la douleur, foutu le camp comme une merde. C’est ce que je suis à présent : un corps vide traversé d’un trou d’air. Une fin du monde en soi. "

Elle sait que c’est en cela que réside sa chance. Quand il n’y a plus rien.

mercredi 18 février 2009

Part II - 3

Elle se retourne. Lui demande de parler. Lui demande de raconter même si elle sait que chaque parole prononcée sera une autre fin du monde. Le début d’un film qui va tourner dans sa tête encore longtemps, la rongeant peu à peu comme une vieille charogne, la vidant de son être, l’humiliant chaque fois un peu plus. Mais elle écoute et creuse les mots en elle. Comme pour être sûre. Elle ne bouge toujours pas.

« Tu es là calme, et tu me regardes. Je voudrais me jeter entière sur toi et te décapiter, t’arracher ta sale caboche qui se tient obstinément droite, te retirer ces yeux qui me regardent fixement et ne me laisse pas m’échapper. Je voudrais pouvoir te fuir, sauter hors de ce lieu qui est le nôtre, courir droit vers le nulle part. Mais je ne peux pas. Je sens l’obstacle qui bute contre moi. Et moi, je voudrais seulement fermer les yeux, te laisser à tes paroles que je ne comprends pas, que je ne veux pas comprendre, que tu maîtrise trop bien, qui ne sont pas les miennes. Je pars pour l’autre monde. Celui où je retrouve mes cris d’avant, mes hurlements du bas du ventre, mes tâches de sang qui giclent sur les murs. Et ta voix continue d’être là. Je n’en veux pas, entends-tu ? Je ne veux pas de toi en cet instant, juste trouver l’espace de hurler et puis peut-être après, pleurer. Je t’aime. Non, je ne l’ai pas dit. Tu ne l’entendras pas. »

Il continue de parler. D’expliquer. A nouveau elle ne bouge plus. Comme morte. Une poupée de chiffon trop longtemps traînée sur le sol et devenue toute sale avec des trous partout.