samedi 31 janvier 2009

Part I - 5.

ELLE : Je devrais lui dire. Tout ça. Mais est-ce que ça se dit ? Ça … Et d’abord tout quoi ? Je ne veux pas que ce tout soit seulement un tout. Je veux avoir le droit de décision, avoir ma part active dans cette histoire – mon fil à tordre, à penser. Je veux avoir la possibilité des regrets. C’est comme un jeu, finalement. Quelqu’un a défini les rôles – père, mère, fille, sœur – et puis on voit.

Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à dire ?

Alors il y aurait quoi à dire ?

LUI : Toi. Juste te dire toi.

ELLE : C’est vrai.

vendredi 30 janvier 2009

Part I - 4.


LUI : Elle est seule. Je la voyais souvent, seule, là-bas, comme ça. Alors j’ai créé un lien. D’abord dans ma tête, en imaginant. Puis je l’ai vu, elle, comme ça. Sombre et froide, je crois, comme elle sera toujours. Une sorte de petit monstre qui se met à hurler si on appuie au mauvais endroit. Et ça m’arrive souvent.

Alors au début je faisais le chat, à pas de velours, avancée prudente, test de la matière, tâtonnements et chuchotements. Et puis merde, il a bien fallu que je finisse par foncer dedans. Depuis je pousse … Rien.

Et si c’est moi qui fatigues le premier ?

ELLE : Tu en trouveras une autre bien mieux que moi, ou seulement moins pire. Une avec qui tu pourras parler, qui voudra bien dire. Pas moi.

LUI : Je n’ai pas les armes en main ; et si je les ai eu, maintenant je les dépose à terre. Elles ne sont pas pour moi.

ELLE : Ou tu n’en veux pas.

LUI : Je demandais juste l’abandon, l’acceptation de la jouissance, la passivité simple du bonheur. Pourquoi a-t-elle si peur ? Je ne veux pas d’éternité dans ma vie, c’est bien trop long. Juste des bouts de sens, fragments d’espérance, de petites vies, des morceaux choisis comme ça, au hasard. Sans plus ni moins d’ambition.

ELLE : Tout ou rien.

LUI : Elle exige tout et ne donne rien. Si je ne donne rien, elle vomit tout. Par longues secousses entrecoupées de rires saccadés. C’est terrifiant. Et alors elle tousse, comme si elle cherchait à s’étouffer.

Je suis seul.

Parfois, elle me livre de brefs morceaux, à vifs, tout crus, toujours saignant. Comme si c’était ça, sa vie : un lambeau de chair finissant de saigner. Ça pue.

Alors on oublie. Tous les deux. Qu’elle existe.

jeudi 29 janvier 2009

Part I - 3.


ELLE : J’ai besoin d’aide, là, maintenant, tout de suite. De tous ces gens qui m’ont aimé, perdu, possédé, outragé. J’ai besoin de mots pour peupler ce vide, pomper leur vie pour remplir la mienne. Trop seule, trop silencieux, trop évident. Je n’en peux plus. Peut-être que si, je peux encore puisque je suis là à hurler comme une sale mioche contre ces quatre murs que je ne peux pas exploser. Je veux voir la vie, la ville. Ses lumières, son souffle, son souffre. Perdre mes sens. Trouver un étau de corps où m’enfermer enfin. Penser trois rues et suivre le premier qui s’engage.

Premier élan. Là, immédiatement, comme une évidence : être parce que les autres sont aussi. Sans me reconnaître. Me greffer à eux, qu’ils se greffent à moi, à mon corps. Sentir l’évidente chaleur, sentir l’étouffement soudain : ils sont là. Oui, ils sont là, au milieu de moi. Milles voix obsédées.

Je n’ai pas fumé jusqu’à l’écœurement aujourd’hui. Faute de goût. Je n’ai pas tué non plus : initiative personnelle. Mais qui ? Comment ? Je ne sais plus. J’ai perdu l’envie permanente, juste des sursauts qui existent, parfois, au milieu des silences.

Foutu bruit qui n’existe que pour les autres. Même le mien ne se fait pas entendre. Alors vous voulez que je crie, c’est ça ? Que je crie pour qu’on vienne me consoler ou me jeter ? Comme ça j’aurais une révolte légitime. Un droit d’exister.

Je ne veux plus te voir, plus te penser, plus t’exister : tu bouscules trop de choses.

Hommage à la psychiatrie moderne.

Tu me manques pourtant, partout.

mercredi 28 janvier 2009

Part I - 2.

LUI : Tu es née ?

ELLE : Un jour …

LUI : Et pourtant …

ELLE : Je sais.

LUI : Il y avait quoi ?

ELLE : Des monstres peut-être … non des fées. Les monstres c’était après.

LUI : Après quoi ?

ELLE : Après que je sois née.

LUI : Et alors ?

ELLE : Alors rien. Il y a eu les fées, puis les monstres. Et maintenant je suis là.

LUI : Et après ?

ELLE : Après il y a toi.

LUI : Bien.

ELLE : Bien ?

LUI : Bien.

ELLE : Peut-être que ce n’est pas aussi simple …

LUI : Peut-être. Mais tu ne veux pas savoir.

ELLE : Non.

LUI : Tu es une petite fille.

ELLE : Non, je n’ai jamais été une petite fille. Je suis née adulte. Je faisais juste semblant. Pour ne pas les effrayer.

mardi 27 janvier 2009

Part I - 1.

1.

ELLE : Je suis seule à présent. Tu n’es pas encore là. Mais il y a l’autre. Avec sa grosse tête effrayante – comme l’explosion de mon point faible. L’autre qui me regarde avec toutes ses dents. Et sa rumeur vibrante au fond des mes intestins, dans tous mes tuyaux – oui, je les voie, je les sens, comme le roulement d’un tambour qui annonce l’inexorable.

Mais putain, putain d’effigie, mon nom, mon référent … pus qui me ronge et me fait pourrir. J’ai tout essayé, nom d’un chien, tout. Comment n’ai-je pas pu encore te vomir… J’ai pourtant dansé sur ta tombe, j’ai dressé un mausolée à la gloire de ton absence, j’ai découpé, déchiré. Tout. Le moindre signe, visible ou non, la moindre odeur. Je me suis épuisée à te faire disparaître, à te déposséder de ma vie, à te l’arracher à ‘importe quel prix. Ta vie … Te piétiner, t’enterrer, te sucer ton sang, t’écraser, te baiser. Oui, j’aurais voulu te baiser.

J’ai même imaginé que tu puisses revenir, vous tous aussi, les bras chargés de cette violence, de ma violence. J’ai imaginé mon regard alors, l’angoisse saisissante, ma lutte avec elle pour ne pas laisser déborder. Je n’imagine pas mes mots : seulement la haine écorchée vive, retirée sanglante de la plaie et enfin vomie entre nous. Je n’imagine pas vos figures, ni vos grimaces : seulement un silence et le noir. Comme ici.

On m’a soufflé cette solution dont l’effroi tenace m’impose le refus en même temps que la peur de l’erreur. C’est comme le viol invisible, intouchable mais intensément là, l’évidence même, entre nous, le sens de toute la suite, le choix de toute une vie.

Et pourtant la suite, ce n’est pas sur le passé, ni par lui ? C’est dans le neutre, l’inconnu ? Et alors, où vais-je balancer le poids, l’obsession, l’obstination, ton obstination … l’oubli, le mien … et les vagues humiliantes, submergeantes, envahissantes jusqu’à la fin…

Je suis fatiguée. Et toi ?

Parce que lui, maintenant, il est là, à demander des comptes, à observer, à vouloir comprendre. Je raconte quoi ?


lundi 26 janvier 2009

Part I - Prologue

PROLOGUE

ELLE : Je casse des barreaux de cellule à projeter les mots contre leur propre sens ; j’explose. Je vide les pilules et annonce le temps de l’innocence. M’aimeras-tu, ainsi ornée des milles cicatrices d’un Lucifer trop outragé ? Et puis, quelquefois, dessinant sur ta peau écaillée de longues craquelures encore toute saignantes, je redécouvre le sens du mot. Dire … te dire … imaginer te dire … pousser la trahison jusqu’à te dire … mordre de mes deux membres ta vue et ton pouls : tes sens perdus de toutes manières.

Me rendre l’unique semblant de secours ?

Tu es là, sans pouvoir me faire face (faire face à mon entité). Inutile. Et mes coups de pieds battant l’air avec rage, et mon propre avortement effréné, sanglant … Et ton immobilité. Mes cheveux déposés à tes pieds, ma salive qui te lèche le mollet, mes orbites sautant vers les tiens, mes ongles qui labourent la chair … Et tu ne bouges pas. C’est honteux.

Comment se perdre mieux, hein, dis-moi ? Non ? Pas l’humiliation de la chair dépouillée pour toi ? La soumission, c’est ça, n’est-ce pas, cette putain de soumission qui fait dresser ton putain de membre ? Merde. Je me souviens que tu me disais « ce n’est pas du désir que j’ai pour toi mais de l’amour ». Et dans ton amour, elle vit où la femme que je suis ? Il est trop propre pour la chair ? Alors soit l’un soit l’autre … Désir ou amour, au choix ?

L’objet-sexe inanimé et crevé. On lui colle son image parfaite, partiellement construite sur des données réelles de ces illusionnistes magnifiques qui bombardent nos murs et nos cerveaux d’images plastifiées, perfectionnées, travaillées en vue de nos perceptions ; simagrées illuminées. Le baiser de l’oubli.

Alors il n’y a rien de tout cela que j’endosse avec responsabilité … Ta foutue vision de l’humanité calcinée… Tu préfères imaginer les dons qui m’habitent plutôt que d’assumer ma matière vivante et visible, qui brasse l’air, là, devant toi, qui s’agite comme un noyé inventif, imaginant toujours de nouveaux signes pour qu’enfin on le voit.

Tu me voies ?

Ombre de la coulisse

Rock

Bulle en blanc